Département de philosophie

Auto-organisation et néolibéralisme : ontologie d’une guerre civile

 

Le néo-libéralisme ne recouvre pas seulement une doctrine économique. Il enveloppe toute une vision du monde, et les techniques pour la faire advenir : design des environnements, management des groupes humains, mise en boîte noire des infrastructures techniques. D’où viennent ces opérations ? De très loin, comme toute chose, mais la thèse de ce cours est qu’elles trouvent en grande partie leur forme opératoire au sein du débat qui traverse les théories du contrôle de la cybernétique américaine. Dès 1948, une partie des cybernéticiens diagnostiquent en effet une crise du contrôle affectant les sociétés de l’information fraîchement émergées des laboratoires de guerre. Pour saisir cette dynamique, ils élaborent d’étranges concepts d’auto-organisation, de singularité et de complexité, à cheval entre physique et politique – et autant de leviers des luttes des années 60 et 70 et de leurs philosophies. En réaction à cette tendance, se met rapidement en place une « seconde cybernétique ». C’est alors elle qui pousse jusqu’à leur incandescence les opérateurs que sont design, management, et de boîte noire : il s’agit de se donner les moyens de neutraliser à la racine cette réalité ingouvernable qui menace d’émerger. La modernité en crise accouche ainsi d’une véritable guerre civile ontologique où le néo-libéralisme inscrit une série de coups redoutables, parlant volontiers de complexité et d’auto-organisation pour mieux les écraser (c’est sous cet angle qu’on étudiera Hayek). Tout se mêle, science, politique, dispositifs techniques et définition de ce qu’est la réalité. Le but de ce cours est d’analyser le plus clairement possible ce conflit. La question qu’il soulève est de savoir si nous n’y sommes pas en partie encore coincés.

 

Stafford Beer, Cybernetics and management, john wiley & sons, inc., 1964.

Friedrich A. von Hayek, L’ordre sensoriel, CNRS, 2001 [1952].

Ross Ashby, Introduction à la cybernétique, Traduction M. Pillon, Dunod, 1958 [1956].

Des outils pour s’en saisir :

Tiqqun, « L’hypothèse cybernétique », Tout a falli, vive le communisme, La Fabrique, 2009.

Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, La Fabrique, 2018.

Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter », Sur un nouvel impératif politique, Editions Gallimard, 2019.

Mathieu Triclot, Le moment cybernétique, La constitution de la notion d’information, Champ Vallon, 2008.

Pablo Jensen, Deep earnings, Le néolibéralisme au cœur des réseaux de neurones, C&F Editions, 2021.

Michel Bourdeau, La fin de l’utopie libérale, Hermann, 2023.