GUYOT-SIONNEST Pamina. Philosophies féministes du « consentement » à l’oppression (II) : le problème de l’oppression entre femmes


Semestre 1
Jeudi 15h-18h
Licence ouvert Master
 
GUYOT-SIONNEST Pamina
Philosophies féministes du « consentement » à l’oppression (II) :
le problème de l’oppression entre femmes
 
Ce cours propose de repenser le problème philosophique du « consentement » à l’oppression (La Boétie, Hobbes) depuis une perspective féministe intersectionnelle.
Les différentes propositions théoriques féministes contemporaines (Fraisse, Garcia, Ferrarese, Melo Lopes) au sujet du consentement des femmes à leur propre oppression aboutissent systématiquement à une aporie : (1) soit on considère que les femmes peuvent consentir à leur propre oppression (Beauvoir), et donc qu’elles ont la capacité de penser clairement (Melo Lopes) ou d’agir volontairement (Garcia) malgré les contraintes et les violences qu’elles subissent — mais il faut se contredire ou dénaturer le sens de « consentir » pour ne pas affirmer en même temps qu’elles sont responsables de leur propre oppression ; (2) soit on prétend que les femmes ne peuvent jamais consentir à leur oppression (Mathieu, Pateman, Wittig, Rich), car le propre de l’oppression est de faire céder — mais cela suppose de considérer que les femmes sont « dupées » par les hommes ou qu’elles sont entièrement contraintes par l’oppression de sexe, et on ne comprend pas comment certaines parviennent à résister…
Dans ce cours, nous chercherons à sortir de cette aporie en repensant la question du consentement des femmes à leur oppression à la lumière du problème de l’oppression entre femmes. De fait, la contradiction théorique dans laquelle nous enferme cette question semble être le résultat d’une certaine épistémologie féministe qui ne s’intéresse à l’oppression que sous l’angle du sexe/genre (Alarcón)… Or, dans la réalité, on n’est jamais « que » une femme. On appartient à une classe sociale, à une race sociale, on a un âge, une nationalité, on est valide ou non, hétéra ou pas, cis ou trans, et tout cela nous situe à la fois vis-à-vis des institutions étatiques (état civil, frontières, justice, police, école, etc.), mais aussi dans des rapports sociaux collectifs, qui impactent nos relations interindividuelles avec des hommes, et, entre femmes (Allyson, Anzaldúa, Davis, Espinosa Miñoso, Hill Collins, hooks, Lugones, Moraga).
Dans cette perspective, nous nous demanderons si opprimer ou être complice de l’oppression d’une femme quand on est soi-même une femme peut être conçu comme un choix libre et éclairé, ou si c’est une conséquence nécessaire de l’oppression patriarcale qui forcerait certaines femmes à en opprimer d’autres pour s’en sortir face au pouvoir des hommes (Molyneux). En cherchant à déterminer si une femme qui opprime une autre femme peut en être tenue directement responsable — de sorte qu’en alimentant le système d’oppression patriarcal, elle consentirait indirectement à sa propre oppression —, nous interrogerons les problèmes philosophiques plus généraux que sont ceux de l’exercice et de la reproduction du pouvoir, ainsi que de la responsabilité individuelle face aux oppressions systémiques…
Une partie du cours sera consacrée à la méthodologie du commentaire de texte et/ou de la fiche de lecture.
 
Bibliographie indicative :
Alarcón N., « Le(s) sujet(s) théoriques de This Bridge Called My Back et le féminisme anglo-américain », Les Cahiers du CEDREF 18, 2011.
Allyson D., Peau. À propos de sexe, de classe et de littérature, Paris, Cambourakis, [1994] 2015.
Davis A., Femmes, race et classe, Paris, Zulma, [1981] 2022.
Espinosa Miñoso Y., Escritos de una lesbiana oscura : reflexiones críticas sobre feminismo y política de identidad en América Latina, En la frontera, 2007.
Hill Collins P., La pensée féministe noire. Savoir, conscience et politique et l’empowerment, Paris, Payot & Rivages, [2016] 2021.
hooks b., Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme, Paris, Cambourakis, [1981] 2015.
Lugones M., « The inseparability of race, class, and gender », Latino Studies Journal I (1), 2003.
Machado C. M., Dans la maison rêvée, Paris, Christian Bourgois, [2019] 2021.
Moraga C. et Anzaldúa G. (dir.), This Bridge Called my Back. Writings by Radical Women of Color, New-York, State University of New York Press, [1981] 2015.
Molyneux M., « Mobilisation sans émancipation ? Participation des femmes, État et révolution au Nicaragua », Cahiers genre et développement 1, 2000.
Romagny V. (dir.), Politiser l’enfance, Paris, Éditions Burn-août, 2023.