BOUTIN Nicolas. Guy Debord : « Je ne suis pas un philosophe, je suis un stratège »


Semestre 1
Jeudi 18h-21h
Licence ouvert Master
 
BOUTIN Nicolas
Guy Debord : « Je ne suis pas un philosophe, je suis un stratège »
 
 Que peut-on encore dire de Guy Debord ? Que nous est-il permis d’en retenir ? Une vie exemplaire qui ne s’est jamais compromise avec le monde marchand, ou bien un seul concept, celui de « spectacle », toujours suspecté d’être dépassé en même temps qu’employé à tout-va, ou peut-être le leader intransigeant d’une avant-garde sans grand héritage, l’Internationale Situationniste ? La nature de l’œuvre de Debord pose problème et il n’y a qu’en la clarifiant que nous pourrons potentiellement réactiver un héritage souvent recouvert de mythes. Giorgio Agamben raconte cette anecdote : « Une fois, comme j’étais tenté (et je le suis encore) de le considérer comme un philosophe, Debord m’a dit : “Je ne suis pas un philosophe, je suis un stratège” ». Debord n’a donc pas fait œuvre de théoricien – encore moins de philosophe – ni même de cinéaste ou bien de poète au profit d’une ambition plus grande : être stratège.
Ce cours poursuivra un double objectif : d’abord, comprendre comment cet impératif stratégique s’est matérialisé durant la période situationniste (1957-1972) ; ainsi il s’agira, d’un côté, d’introduire aux grands thèmes situationnistes en relisant les textes les plus connus de Debord par le prisme de la stratégie (en passant évidemment par La société du spectacle) et, de l’autre, de lire des textes souvent ignorés mais se déclarant directement comme relevant d’un travail stratégique (notamment « Le commencement d’une époque », pensé comme un compte rendu stratégique de mai 68). Le second objectif consiste à établir une continuité dans l’œuvre de Debord afin de ne plus le réduire au théoricien du spectacle ou à sa période situationniste. Pour cela, il s’agira d’éprouver l’hypothèse selon laquelle seule une interprétation stratégique de son œuvre permet de lui donner une cohérence d’ensemble ; autrement dit, il s’agira simplement de prendre au sérieux la déclaration de Debord lorsqu’il se revendique stratège (ce que ne fait justement pas Agamben, le maintenant dans sa position de philosophe). La stratégie est le fil conducteur de l’ensemble de ses productions : de ses films, de ses courts textes d’interventions, de ses traités politiques et même, à la fin de sa vie, de ses œuvres autobiographiques.
Au cours de cette enquête, le cours assumera également une part de méthodologie (à la lecture de texte, au commentaire et à la dissertation) en se penchant notamment sur des textes plus « classiques » de l’histoire de la philosophie et de la pensée – des textes que Debord a lu, dont il hérite ou qu’il critique (Marx, Hegel, Clausewitz, Thucydide, etc.). Sur ce chemin, il ne s’agira pas seulement d’éclairer sous un nouveau jour l’héritage debordien (au double sens de ce dont il hérite et de ce qu’il nous lègue) ; le cours ne consistera pas seulement en un travail d’histoire de la pensée politique. Une fois clarifiée la nature nécessairement stratégique de son œuvre, il s’agira alors de donner un premier contenu à la stratégie : capacité à savoir quoi faire du temps et à se tenir prêt, intelligence de l’histoire, discernement des impératifs des jours historiques : « Je pense que c’était juste, et aussi le juste moment » (Guy Debord, “Cette mauvaise réputation…”).
 
Bibliographie indicative :
DEBORD Guy, La société du spectacle (1967), Paris, Folio essai, 2018.
–– « Le commencement d’une époque » (1969).
–– La Véritable Scission (1972), Paris, Fayard, 1998.
–– Panégyrique, tome premier (1989), Paris, Gallimard, 1993.
–– In girum imus nocte et consumimur igni, Édition critique (1990), Paris, Gallimard, 1999.