IRRERA Orazio. La philosophie et l’ethnologie de notre culture


Semestre 1
Vendredi 12h-15h
Master
 
IRRERA Orazio
La philosophie et l’ethnologie de notre culture
 
Dans ce cours sera restituée l’émergence et les enjeux épistémologiques, politiques et éthiques de la formule « faire l’ethnologie de notre culture (ou de notre société ») qui a infléchi aussi bien le statut et la fonction de la philosophie dans l’après-guerre que le rapport, parfois conflictuel, avec les sciences humaines et en particulier avec l’ethnologie. Notre point de départ sera la confiance que Sartre (1945) accordait à une « universalité de la condition humaine » permettant la compréhension vécue du sens de tout projet humain en tant que manifestation d’une liberté visant dialectiquement à transformer le monde et l’histoire pour franchir ou faire reculer les limites de toute situation donnée, c’est-à-dire une universalité humaine en vertu de laquelle « tout projet, même celui du Chinois, de l’Indien ou du nègre, peut être compris par un Européen ».
A partir de ce cadre conceptuel à la fois humaniste, existentialiste, dialectique et marxiste –, nous verrons d’abord comment le propos de faire l’ethnologie de notre culture/société est mis en avant par Merleau-Ponty (1959) pour relativiser et remettre en question cette prétention sartrienne par l’invocation d’un « universel latéral » acquis par « l’expérience ethnologique, incessante mise à l’épreuve de soi par l’autre et de l’autre par soi ».
Ensuite, nous verrons comment les enjeux de cette expérience ethnologique se retrouvent dans la célèbre querelle qui a opposé Lévi-Strauss à Sartre, suite à la critique formulée dans le dernier chapitre de La Pensée sauvage (1962) intitulé « Histoire et dialectique ».
Enfin, nous montrerons comment la tâche de faire une ethnologie de notre culture accompagnera, quelque temps après, la réception des Mots et les choses (1966) de Michel Foucault et sera reprise même par ce dernier pour caractériser aussi bien la fonction de diagnostic du discours philosophique que pour expliciter les rapports de la philosophie aux sciences humaines au sein de la culture à laquelle appartenons, ce dont il est notamment question dans le cours, encore inédit, donné en 1966-67 à l’Université de Tunis.
Au fil de ces débats on verra se dégager deux formes de réflexivité à l’égard du rapport entre notre culture et les cultures « autres » et/ou « non-européennes » dans une conjoncture politique alors profondément marquée par la décolonisation : d’une part une position humaniste, marxiste et dialectique qui a effectivement supporté les projets de libération/émancipation des mouvements anticoloniaux de l’époque, de l’autre, une position visant à saisir la rationalité des systèmes signifiants qui organisent les cultures, autant celle « occidentale » que celle des peuples dits « sans histoire », pour en saisir « la prodigieuse richesse et la diversité des mœurs, des croyances et des coutumes » sans céder à l’idée d’une supériorité culturelle de l’Occident, parfois implicite même dans l’universalisation d’une raison qui se veut émancipatrice, mais qui enfin participe à la planétarisation d’une forme encore coloniale de modernisation.
 
Indications bibliographiques :
J.-P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1945), Paris, Nagel, 1966
J.-P. Sartre, Critique de la raison dialectique (précédé de Questions de méthode), tome I, Théorie des ensembles pratiques, Paris, Gallimard, 1960.
M. Merleau-Ponty, « De Mauss à Lévi-Strauss » (1959), dans Éloge de la philosophie et autres essais, Paris, Gallimard, 19602, p. 123-142.
C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962 (chap. IX, « Histoire et dialectique », p. 324-357).
M. Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.
M. Foucault, Dits et écrits, vol. 1, 1954-1975, Paris, Gallimard, 2001.
M. Foucault, Le Discours philosophique, Paris, EHESS-Seuil-Gallimard, 2023.