KRAVCHENKO Veronika. Le commentaire philosophique et son dehors : lecture de L’Attente l’oubli de Maurice Blanchot
Semestre 1
Vendredi 15-18h
Licence ouvert Master
KRAVCHENKO Veronika
Le commentaire philosophique et son dehors : lecture de L’Attente l’oubli de Maurice Blanchot
Certaines notions semblent plus insaisissables à mesure que nous tentons de les penser. Tel est le cas de l’oubli : puisque la conceptualisation implique nécessairement un acte de « saisie », penser l’oubli paraît, par nature, contredire ce que le concept est censé véhiculer. Mais est-il possible d’envisager une pensée affranchie du schème sujet-objet ? Ces interrogations traversent la réflexion des philosophes : d’un côté, Martin Heidegger (1889–1976), qui revendique se souvenir de l’oubli de l’Être, dessine une pensée dont le mécanisme repose davantage sur l’attente que sur la prise. De l’autre, Simone Weil (1909–1943), convaincue de l’absence radicale de Dieu dans le monde, cherche une forme d’attention capable d’embrasser cette absence absolue, sans réintroduire subrepticement une quelconque représentation divine. Elle aussi en vient à envisager une pensée en attente, qui ne cherche rien. Mais est-il possible, de son propre gré, d’attendre par une attente qui n’attend rien, ou d’exercer une forme d’attention qui ne soit attentive qu’à l’absence ?
Dans le cadre de ce cours, nous tenterons de comprendre comment Maurice Blanchot (1907–2003), penseur énigmatique — l’Héraclite du XXe siècle — répond à ces apories dans son œuvre expérimentale et fragmentaire, L’Attente l’oubli (1962), envoyée à Heidegger pour son 70e anniversaire. Dans son récit, Blanchot permet à Weil et Heidegger d’entrer en un dialogue amoureux, parfois même érotique, à travers des concepts heideggériens, dont le résultat est que, au lieu des matières auparavant transcendantes attendues, c’est l’attente elle-même qui devient « surnaturelle ». Pour comprendre la solution que propose Blanchot, nous étudierons cette notion familière à tous, afin d’en révéler le potentiel par lequel l’attente peut revêtir des attributs traditionnellement associés à Dieu et à l’Être. Par exemple, que devient la perception du temps et de l’espace pour un sujet placé dans une situation où il ne peut ni plus attendre ni interrompre l’attente ?
Nous constaterons également que, chez Blanchot, la pensée ne se contente plus de considérer l’oubli comme un objet, mais l’intègre comme une composante essentielle du concept d’un autre régime de pensée : « l’attente l’oubli ». Cela nous conduira à l’oubli chez Nietzsche, ainsi qu’à la lecture que Pierre Klossowski en fait, en particulier dans son article « Oubli et anamnèse dans l’expérience vécue de l’éternel retour du Même ». Nous verrons ensuite les raisons pour lesquelles Blanchot propose son récit L’Attente l’oubli comme une expérience analogue à l’Éternel retour. Enfin, en extrayant de la forme narrative novatrice de Blanchot ses arguments en faveur de la réhabilitation de la pensée nietzschéenne face à Heidegger, nous les replacerons dans le contexte philosophique de son époque, centré sur cette problématique.
L’orientation pédagogique de ce cours consistera dans l’exploration des limites du commentaire philosophique. La pensée de Blanchot a suscité un goût pour la différence chez de nombreux philosophes poststructuralistes (Derrida, Foucault, Deleuze), qui lui ont consacré des livres et des cours. À partir de leurs travaux, nous analyserons différents styles de commentaires appliqués à la pensée paradoxale et obscure de Blanchot. Parallèlement, nous élaborerons notre propre lecture en inventant des méthodes originales pour travailler ce matériau atypique, mais très intense sur le plan philosophique.
Indications bibliographiques :
Blanchot, Maurice, L’Attente l’oubli, Paris, Gallimard, 1962.
Blanchot, Maurice, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969.
Blanchot, Maurice, L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955.
Blanchot, Maurice, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969.
Blanchot, Maurice, L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955.
Derrida, Jacques, Parages, Paris, Galilée, 2003.
Foucault, Michel, La pensée du dehors, texte consacré à Maurice Blanchot, Éditions Fata Morgana, 2003.
Heidegger, Martin, Contribution à la question de l’être, trad. François Fédier, Paris, Gallimard, 2006.
Heidegger, Martin, Être et Temps, trad. François Vezin, Paris, Gallimard, 1986.
Heidegger, Martin, Être et Temps, trad. François Vezin, Paris, Gallimard, 1986.
James, Henry, La Bête dans la jungle, trad. Jean Pavans, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2000.
James, William, Les Variétés de l’expérience religieuse, trad. Claire Malroux, Paris, Éditions du Seuil, 1963.
James, William, Les Variétés de l’expérience religieuse, trad. Claire Malroux, Paris, Éditions du Seuil, 1963.
Klossowski, Pierre, Nietzsche et le cercle vicieux, Paris, Mercure de France, 1969.
Lévinas, Emmanuel, Le Temps et l’Autre, Paris, Presses universitaires de France (PUF), 2014.
Nietzsche, Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1971.
Nietzsche, Friedrich, Le Gai Savoir, trad. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1978.
Nietzsche, Friedrich, Le Gai Savoir, trad. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1978.
Weil, Simone, Attente de Dieu, Paris, La Colombe, 1950.
Deleuze, Gilles (1925–1995), Sur Foucault : le pouvoir, cours donnés à l’Université Paris ?8 Vincennes-Saint-Denis, 1985–1986. https://www.webdeleuze.com/cours/foucault_pouvoir.