LOREAUX Baptiste, Auto-organisation : émergence et conjuration


Semestre 1
Lundi 18h-21h
Master ouvert Licence
 
LOREAUX Baptiste
Auto-organisation : émergence et conjuration
 
La notion d’« auto-organisation » germe au XXe siècle au sein de différentes disciplines (en embryologie, ou dans la physique de Prigogine par exemple). Toutes ces disciplines ont en commun de faire partie des sciences dites « dures », par opposition aux sciences « humaines ». Or, une particularité du concept d’auto-organisation consiste dans le fait qu’il semble très difficile de le manipuler sans transgresser systématiquement cette barrière entre nature (la physique) et culture (la politique). On connaît l’importance de la notion d’auto-organisation dans les mouvements révolutionnaires des années 70, pour la contre-révolution managériale des années 80, et pour la mise en modèle des catastrophes écologiques du système Terre. À chaque fois, auto-organisation marque une étrange hybridité entre nature et culture : luttes politiques au nom de l’écologie (jusqu’au slogan actuel « nous sommes la Terre qui se défend »), contrôle biopolitique des populations, ou bien la mise en avant récente du terme d’Anthropocène pour caractériser la société capitaliste mondialisée comme une force géologique majeure. Dans ce cours, il ne s’agira pas de promouvoir un concept d’auto-organisation passe-partout qui apporterait des solutions à tous ces champs enfin unifiés. Nous étudierons en particulier le mouvement cybernétique comme un foyer d’émergence de la notion d’auto-organisation et comme un puissant vecteur de contamination entre un sens physique (systèmes auto-organisés ou autopoïétiques) et un sens politique (auto-gestion). Nous verrons sur ce cas précis que les problèmes engendrés étaient tels qu’ils ont engagé toute une relecture de l’histoire de la philosophie par les cybernéticiens (des présocratiques jusqu’à Heidegger !), et que ces derniers ont finalement dû fournir une démonstration formelle de l’impossibilité de l’auto-organisation pour sauver leurs théories du contrôle. Cette démonstration (logique ou politique ?), qui date de 1962, a aussitôt été mise au cœur des théories du management, de l’architecture, du néo-libéralisme et de l’Intelligence Artificielle. Si bien qu’une bonne part du stade actuel du capitalisme pourra nous apparaître comme appuyé sur la conjuration active de la possibilité de l’auto-organisation (mais en quel sens ?).
 
Indications bibliographiques :
Isabelle Stengers, « La vie et l’artifice : visages de l’émergence », in Cosmopolitiques, La Découverte, 2022.
Jean-Pierre Dupuy, Aux origines des sciences cognitives, La Découverte, 1994.
----------------------- et Paul Dumouchel (dir.), L’auto-organisation, De la physique au politique, Seuil, 1983.
Mathieu Triclot, Le moment cybernétique, La constitution de la notion d’information, Champ Vallon, 2008.
Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Seuil, 1977.
Feltz, Crommelinck, Goujon (dir.), Auto-organisation et émergence dans les sciences de la vie, Ousia, 1999.
Pablo Jensen, Deep earnings, Le néolibéralisme au coeur des réseaux de neurones, C&F Editions, 2021.
Gilles Deleuze, Le pli, Leibniz et le baroque, Editions de Minuit, 1988.