GINÉS Camila et Orazio IRRERA, La vérité du crime et l’histoire stratégique de la morale. D’Œdipe à la théorie des illégalismes


2023-2024 – Semestre 1
Mardi 12h-15h
Master ouvert Licence
 
GINÉS Camila et Orazio IRRERA
La vérité du crime et l’histoire stratégique de la morale. D’Œdipe à la théorie des illégalismes
 
Ce cours se propose de retracer les liens entre l’émergence d’une morale de la faute et l’exigence d’établir la vérité de ce qui est considéré comme un crime qu’on retrouve dans les recherches foucaldiennes des années 1970. Nous partirons des analyses que Foucault consacre à l’Œdipe roi de Sophocle et du moment où l’opposition « pur/impur » vient pour la première fois s’ajuster à l’opposition « innocent/criminel » en déterminant la sphère de ce qui ne peut pas être toléré puisqu’il apparaît comme un danger pour la cité et son nomos. Loin de restituer les formes universelles d’un désir réprimé par la loi, comme le prétendait Freud, et loin aussi d’être résorbée par le paradigme ontologique d’un pouvoir souverain immémorial sur la « vie nue », Agamben l’a suggéré plus tard dans son Homo sacer, la pratique d’exclusion de l’impur/criminel qui accompagne le destin tragique d’Œdipe ouvre plutôt sur l’histoire stratégique des transformations des tactiques pénales qui se déploient dans l’immanence historique et changeante de l’exercice même d’un pouvoir qui, pour imposer ses normes, a besoin de fabriquer une morale de la faute. On se penchera alors sur la grille d’intelligibilité historico-politique qui permet de situer les transformations de la pratique d’exclusion dans l’écart entre l’élaboration juridique d’un droit répressif de punir et la validité effective des comportements qu’il s’efforce d’introduire, en se mesurant aux obstacles qu’il rencontre dans son application concrète. Sur ce fond, on verra alors se dessiner une histoire stratégique de la morale à partir de ce que Foucault désigne comme « illégalismes », c’est-à-dire un ensemble de pratiques à la fois cohérentes, systématiques et collectives par lesquelles des groupes ou des classes contournent la loi soit pour s’en servir à leur profit, soit pour y échapper et se défendre de ses effets. C’est la manière dont on s’affronte, ce sont les stratégies déployées dans la lutte, qui définissent non seulement l’ordre juridique, mais aussi l’ordre moral. La règle et la lutte, la règle dans la lutte, c’est cela d’après Foucault, qui constitue la dimension historique et stratégique d’une volonté de savoir où se nouent et se renouent la morale et le juridique.
 
Indications bibliographiques :
M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir. Cours au Collège de France. 1970-1971, Paris, EHESS-Gallimard-Seuil, coll. « Hautes Études », 2011 (soit édition de poche, coll. « Points », 2021).
––––––––––, Théories et institutions pénales. Cours au Collège de France. 1971-1972, Paris, EHESS-Gallimard-Seuil, coll. « Hautes Études », 2015 (soit édition de poche, coll. « Points », 2021).
––––––––––, La société punitive. Cours au Collège de France. 1972-1973, Paris, EHESS-Gallimard-Seuil, coll. « Hautes Études », 2013 (soit édition de poche, coll. « Points », 2023).
––––––––––, « La vérité et les formes juridiques », dans Dits et écrits, vol. I (1954-1975), Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, texte n. 139, p. 1406-1514.
––––––––––, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
––––––––––, Mal faire, dire-vrai. Fonction de l’aveu en justice. Cours de Louvain, 1981, Chicago/Louvain, University of Chicago Press/Presses Universitaires de Louvain, 2012.